Quelle est la définition de la collaboration salariée ?
L’article 14.1 du Règlement intérieur du Barreau de Paris (RIBP) définit la collaboration libérale et la collaboration salariée dans le même article, dans une sorte d’opposition :
« La collaboration libérale est un mode d'exercice professionnel exclusif de tout lien de subordination, par lequel un avocat consacre une partie de son activité au cabinet d'un ou plusieurs avocats.
La collaboration salariée est un mode d'exercice professionnel dans lequel il n'existe de lien de subordination que pour la détermination des conditions de travail. »
La différence tient donc au seul lien de subordination, qui n’existe pour l’avocat salarié « que pour la détermination des conditions de travail ». Cette nuance est en pratique parfois très fine, en particulier au début d’une carrière professionnelle.
Qu’entend-on par « conditions de travail » ?
Les conditions de travail recouvrent les aspects :
matériels : contraintes physiques, moyens, conditions sanitaires, etc.) ;organisationnels : temps de travail, rythme de travail, autonomie et marge de manœuvre, etc. ;psychosociaux : relations avec les clients, la hiérarchie et les collègues, sentiment d'utilité, etc.) dans lesquels évolue le salarié.
En cabinet, cela renvoie notamment à :
le lieu de travail et la possibilité de faire du télétravail ; l’utilisation du matériel, notamment ordinateur, imprimantes, réseau, bases de données juridiques, salles du cabinet ; le temps de travail et la gestion du temps de travail (possibilité ou non de gérer librement son emploi du temps, horaires imposés, etc.) ; l’organisation vis-à-vis de la hiérarchie (autorisation pour poser des congés, autorisation pour faire du télétravail…) ; l’organisation du travail : autonomie vis-à-vis des clients et dans la gestion de son temps ; les modalités de rémunération par exemple un système de rémunération incitant les collaborateurs à privilégier le développement de la clientèle du cabinet : si ce choix est librement opéré, et que le collaborateur se trouve incité à privilégier la clientèle du cabinet, cela ne revient pas à requalifier le contrat de collaboration en contrat de travail.
Quels sont les critères permettant d’identifier une collaboration libérale par rapport à une collaboration salariée ?
À notre sens, deux exemples peuvent permettre de comprendre la différence entre un collaborateur salarié et un collaborateur libéral .
# 1 — Le développement de la clientèle personnelle La jurisprudence et la pratique ont fait de ce critère LE critère de répartition entre le collaborateur salarié et le collaborateur libéral.
Or, le développement de la clientèle personnelle ne serait pas forcément incompatible avec la collaboration salariée. En effet, depuis un changement du 9 juillet 2020 dans le RIN, le collaborateur salarié peut développer sa clientèle tant qu’il le fait « hors de l’exécution de son contrat de travail ». Le RIBP présente une rédaction similaire.
Précisons néanmoins que la Cour d’appel de Parisien semble pas partagé cette analyse, jugeant que la collaboration salariée est incompatible avec la clientèle personnelle (CA Paris, 12 janvier 2023, n° 21/14533). En l’espèce, il s’agissait d’un avocat salarié souhaitant ouvrir un établissement secondaire afin de pouvoir y développer sa clientèle personnelle.
Il est ainsi légitime qu’un collaborateur salarié consacre son temps de travail à son cabinet et ne puisse développer sa clientèle qu’en dehors de ses horaires de travail. Le développement de clientèle par un collaborateur salarié semble compatible avec la législation sur le temps de travail notamment les dispositions relatives au repos hebdomadaire de 24 heures consécutives et le repos quotidien de 11 heures consécutives, ainsi que la durée maximale quotidienne de 11 heures de travail de la CCN.
À titre d’exemple, un avocat salarié qui commencerait à 9 h et prendrait une heure de pause déjeuner pourrait travailler jusqu’à 19 h pour le cabinet et de 20 h à 22 h pour sa propre clientèle personnelle, ce qui semble satisfaisant pour les deux parties.
Cette clarification entre temps dévolu au cabinet et temps dévolu aux dossiers personnels est un avantage : elle a le mérite de la transparence et de l’honnêteté, puisque les limites sont définies dès le début , plutôt qu’une collaboration libérale où, dans les faits, il peut être presque impossible pour le collaborateur de développer sa clientèle personnelle pendant son temps de travail.
Rappelons en effet que le cabinet qui embauche un collaborateur attend de son collaborateur qu’il traite ses dossiers. La réactivité étant une exigence forte des clients (et donc des cabinets), le cabinet, qui rémunère son collaborateur en échange du travail fourni, peut s’attendre légitimement à ce que son collaborateur travaille sur ses dossiers en priorité, ce qui vient en contradiction avec l’intérêt d’un collaborateur voulant privilégier le développement de sa clientèle personnelle.
# 2 — L’organisation du travail Si l’avocat a une clientèle personnelle, et s’il est libéral, il doit pouvoir vaquer à sa clientèle personnelle y compris sur le temps dévolu au cabinet. Il doit notamment pouvoir se rendre à des audiences ou à des rendez-vous clients sans devoir solliciter l’autorisation du cabinet ; une simple information pour l’organisation du travail devrait suffire. Dans le même esprit, le collaborateur doit pouvoir informer qu’il télétravaille.
En pratique, la différence est parfois fine, notamment lorsqu’on est jeune collaborateur. Le lien vis-à-vis de ses associés peut être fort pour des questions d’organisation du travail.
Ainsi, à titre d’exemple, certains cabinets interdisent le télétravail les premiers mois, afin de faciliter l’intégration. Il est en effet plus facile de télétravailler lorsqu’on a acquis une certaine autonomie.
Concernant le développement de la clientèle personnelle, le montant des heures facturables que peuvent exiger certains cabinets conduisent de facto les collaborateurs libéraux à développer leur clientèle personnelle en soirée, pendant les vacances et en week-end.
Cela devrait revenir à requalifier tout contrat ayant une exigence forte en termes d’heures facturables en contrat de travail.
Le sujet peut être d’autant plus épineux que beaucoup de cabinets évoquent des « heures facturables », qui ne permettent pas d’appréhender entièrement le temps de travail, puisqu’il y a aussi des heures consacrées :
au développement du cabinet (évènements professionnels…) ; à l’administration interne (facturation notamment) ; à la formation ; etc.
Par ailleurs, certaines heures facturables peuvent être supprimées sur décision de l’associé (write off ). Enfin, les forfaits, souvent, ne tiennent pas compte du nombre réel d’heures travaillées.
Retenons schématiquement que 900-1200 heures facturables et une clientèle personnelle à hauteur de 10-20 % des revenus ont pu permettre de valider le statut libéral (voir ci-dessous).
Quels sont les avantages de la collaboration salariée par rapport à la collaboration libérale pour un cabinet ?
offrir un cadre clair au collaborateur quant à l’organisation du travail et à la possibilité de développer sa clientèle personnelle, ce qui permet d’éviter un certain nombre de frustrations liée à une frontière difficile à appréhender quant à la répartition temps pour le cabinet / temps pour la clientèle personnelle du collaborateur libéral ;s’offrir une marque employeur : compte tenu des nombreux avantages du salariat (voir ci-dessous), les cabinets peuvent utiliser le statut salarié pour attirer les talents dans les domaines du droit où la demande de cabinets est supérieure à l’offre d’avocats collaborateurs ;éviter les risques inhérents à un statut libéral risquant d’être requalifié en statut salarié (voir ci-dessous).
Quelles sont les différences de statut entre le collaborateur libéral et le collaborateur salarié ?
Il existe de multiples différences entre ces deux statuts. Nous avons tenté d’en montrer la plupart, même si cette liste n’est pas exhaustive.
Congés et jours de repos
Un collaborateur salarié bénéficie de plus de jours de congés et de repos qu’un collaborateur libéral. Par ailleurs, il bénéficie de la possibilité de se les faire compenser en cas d’acquisition et de non prise de ces congés.
a. Le nombre Comme pour les collaborateurs libéraux, le droit du travail et la CCN des avocats salariés prévoient 5 semaines de congés payés par an.
Compte tenu de l’autonomie et de la charge de travail, le régime de temps de travail le plus idoine pour un avocat nous semble être le forfait jours. Ce régime permet de travailler un certain nombre de jours par an (au maximum 218) plutôt qu’un certain nombre d’heures par semaine.
Le salarié en forfait jours a droit à des jours de repos au titre du forfait jours (appelés à tort dans le langage courant « RTT »), dont le nombre varie chaque année en fonction des jours fériés qui tombent un jour ouvré. De manière schématique, les jours de repos représentent entre 8 et 11 jours de plus de congés par an.
Les jours de congés pour évènements familiaux : La loi et la CCN prévoient des jours de congés supplémentaires en cas de certains évènements familiaux
- pour le mariage ou le PACS : 5 jours ouvrés ;
- pour le mariage d’un enfant : 2 jours ouvrés ;
- pour le décès d’un enfant : 5 jours ouvrés ;
- pour la naissance ou l’adoption : 3 jours ouvrés ;
- pour le décès du conjoint, partenaire de PACS, concubin, père, mère, beau-père, belle-mère, frère, sœur : 6 jours ouvrés ;
- décès d’un enfant âgé d’au moins 25 ans n’ayant pas d’enfant lui-même : 12 jours ouvrables ;
- décès d’un enfant âgé de moins de 25 ans, enfant (quel que soit son âge) étant lui-même parent, personne âgée de moins de 25 ans à la charge effective et permanente du salarié : 14 jours ouvrables ;
- décès d’un enfant de moins de 25 ans ou d’une personne âgée de moins de 25 ans à la charge effective et permanente du salarié : 8 jours fractionnables en deux périodes ;
- annonce de la survenue d’un handicap, d’une pathologie chronique ou d’un cancer d’un enfant : 5 jours ouvrés.
Les jours de congés de fractionnement : En cas de prise du congé principal en dehors de la période du 1er mai au 31 octobre (hors renonciation individuelle expresse ou par accord d’entreprise), le salarié se voit octroyer :
- 1 jour ouvrable supplémentaire en cas de prise de 3 à 5 jours de congés ;
- 2 jours ouvrables de congés supplémentaires en cas de prise de 6 jours de congés.
les jours de congés supplémentaires pour ancienneté : Entre 5 et 10 ans d'ancienneté, l'avocat salarié bénéficie d'un jour de congé supplémentaire et au-delà de 10 ans d'ancienneté, de 2 jours supplémentaires. L’ancienneté est appréciée au 1er juin de chaque année.
b. La possibilité de se faire compenser les jours de congés payés acquis et non pris (indemnité compensatrice de congés payés et compte épargne temps) Lorsqu’un salarié quitte l’entreprise, il se voit remettre un solde de tout compte (STC) avec toutes les sommes dues par l’entreprise au salarié. En pratique, dans la majorité des cas, il reste des jours de congés (et de repos, le cas échéant) au salarié qui quitte l’entreprise, car il est rare qu’un salarié ait pris tous ses jours de congés acquis avant la rupture de son contrat.
Cette somme s’appelle l’indemnité compensatrice de congés payés (ICCP). Cette indemnité est versée peu importe le mode de rupture (donc y compris en cas de démission). Cela peut représenter un montant non négligeable.
À notre connaissance, aucun cabinet ne compense les jours de congés acquis et non pris à la fin de la collaboration libérale. Certes, les avocats collaborateurs libéraux peuvent prendre les jours de congés acquis et non pris. Mais bien souvent, les salariés préfèrent toucher un petit pécule plutôt que de les prendre pendant le préavis, ce d’autant qu’aucun mode de rupture de la collaboration libérale n’ouvre droit au chômage ni à indemnité de licenciement.
Dans le même esprit, certaines entreprises mettent en place un Compte Épargne Temps, ce qui permet de stocker les jours de congés acquis et non pris pour éviter de les perdre. À la fin du contrat de travail, les jours restants donnent lieu à une indemnité compensatrice des jours stockés sur le CET, calculé sur le salaire de sortie (et non sur le salaire au moment où les jours ont été intégrés dans le CET). Cet avantage reste à relativiser puisque la mise en place d’un CET n’est pas obligatoire pour les avocats salariés.
La rupture du contrat
a. Procédure et motif Le licenciement doit être fondé sur une cause réelle et sérieuse. Par ailleurs, une procédure doit être respectée : convocation à entretien, délai de 5 jours ouvrés, entretien préalable durant lequel le salarié peut se faire assister afin de pouvoir s’expliquer sur les faits qui lui sont reprochés, 2 jours ouvrés, envoi de la lettre de licenciement.
À l’inverse, la rupture de la collaboration libérale n’est conditionnée à aucun motif ni procédure à respecter. La rupture de la collaboration peut ainsi parfois être brutale.
Outre le licenciement, aucun autre mode de rupture du contrat de travail n’est applicable au collaborateur libéral et notamment :
la rupture conventionnelle, qui est un mode amiable de rupture du contrat de travail ; les plans de départ volontaires, rupture conventionnelles collectives et plan de licenciement collectif ; le départ en retraite et la mise à la retraite.
b. Indemnités de rupture Hormis la démission et le licenciement pour faute grave, les autres modes de rupture ouvrent le droit à une indemnité de rupture qui est au minimum égale à l’indemnité légale de licenciement qui est de ¼ de mois de salaire pour les 10 premières années d’ancienneté et 1/3 de mois de salaire au-delà.
L’indemnité spécifique de rupture conventionnelle doit être au minimum égale à l’indemnité de licenciement, mais peut être supérieure en cas d’accord des parties.
Le départ à la retraite ouvre droit pour l’avocat salarié à une indemnité :
ancienneté de 1 à 20 ans inclus : 20 % de mois de salaire de référence par année d’ancienneté ; 21 à 25 ans inclus : 26 % de mois de salaire de référence par année d’ancienneté au-delà des 20 premières années ; de 26 à 30 ans inclus : 34 % de mois de salaire de référence par année d’ancienneté au-delà de la 25ᵉ année ; de 31 à 35 ans inclus : 42 % de mois de salaire de référence par année au-delà de la 30ᵉ année ; à partir de 36 ans : 48 % de mois de salaire de référence par année d’ancienneté au-delà de la 35ᵉ année.
Il peut exister également d’autres types d’indemnités supra-légales de licenciement, notamment en cas de licenciement collectif pour motif économique.
Par ailleurs, si le licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse, l’employeur sera condamné à verser une indemnité, fondée sur l’ancienneté, dont le barème est fixé par l’article L. 1235-3 du code du travail.
Enfin, le régime social et fiscal de ces indemnités est très favorable. Ainsi, l’indemnité de licenciement est nette d’impôt, de cotisations sociales et de CSG/CRDS jusqu’à 2 PASS (2 x 48 060 = 96 120 en 2026).
L’exonération fiscale est encore plus importante, dans la grande majorité des cas. Les autres indemnités (indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, indemnité supra-légale en cas de plan de licenciement collectif) suivent un régime comparable.
L’épargne salariale
Toutes les entreprises de plus de 50 salariés doivent mettre en place de la participation, dont le montant dépend notamment des résultats dégagés par l’entreprise. La participation peut représenter des montants non négligeables.
Par ailleurs, là encore, la prime de participation bénéficie d’un régime social et fiscal de faveur, sous certaines conditions.
La participation n’est pas le seul dispositif d’épargne salariale qui peut être mis en place au sein des entreprises : prime de partage de la valeur, plan d’épargne entreprise, PERCO, intéressement, etc.
La protection sociale
a. Le chômage Les modes de rupture du contrat de travail autres que la démission ouvrent le droit au chômage tandis qu’aucun mode de rupture du contrat de collaborateur libéral n’ouvre droit au chômage. Il s’agit d’un avantage de taille puisqu’il est question d’éviter de se retrouver sans ressource du jour au lendemain.
b. Mutuelle, prévoyance, retraite complémentaire et supplémentaire Les employeurs doivent cotiser à un régime pour faire face à certains risques, notamment la mutuelle, la prévoyance et la retraite complémentaire. Ils peuvent également mettre en place des régimes de retraite supplémentaire qui peut offrir des avantages non négligeables. Le fait d’avoir une base de cotisants plus élargie permet de payer moins cher.
À l’inverse, le collaborateur libéral doit s’assurer lui-même. Précisons toutefois que le barreau procure une assurance maladie.
Législation relative à la protection de la santé des travailleurs
a. Suivi de l’état de santé des travailleurs Le salarié bénéficie d’un suivi de son état de santé auprès de la médecine du travail et notamment :
la visite d’embauche ; les visites en cours d’arrêt de travail ; la visite de reprise dans le cas de certains arrêts maladie, notamment ceux d’origine professionnels ou les arrêts de maladie longs.
b. Arrêts maladie Il est difficile de dire quel est le plus avantageux, car cela dépend de (i) la durée de l’arrêt et (ii) la rémunération du collaborateur.
Pendant les 30 premiers jours, le cabinet maintient le salaire ou la rétrocession, que l’avocat soit libéral ou salarié.
Du premier au deuxième mois d’arrêt maladie :
pour l’avocat collaborateur libéral : la prévoyance du barreau verse des indemnités journalières et le cabinet complète la différence ; pour l’avocat salarié : IJSS versés par la CPAM et le cabinet maintient la rémunération brute à 80 % ;
Du deuxième au troisième mois d’arrêt maladie :
pour l’avocat collaborateur libéral : versement d’indemnités journalières par la prévoyance du barreau uniquement (90 euros par jour pour LPA et 75 euros par jour pour AON) pour l’avocat salarié : IJSS versés par la CPAM et le cabinet maintient la rémunération brute à 80 %.
Du troisième mois à trois ans d’arrêt maladie :
pour l’avocat collaborateur libéral : la CNBF verse 105 euros par jour ; pour l’avocat salarié : IJSS versés par la CPAM et le cabinet maintient la rémunération brute à 80 %.
Du côté des démarches, l’avocat libéral devra contacter la prévoyance du barreau tandis que l’employeur de l’avocat salarié se chargera de contacter son assureur.
c. Congé maternité Que l’avocat soit libéral ou salarié, le cabinet doit maintenir sa rémunération.
Par ailleurs, les deux statuts bénéficient d’une interdiction de rompre le contrat de travail d’une salariée enceinte. Précisons toutefois que, pendant le congé maternité, la protection de l’avocate salariée est absolue. Par ailleurs, si cette protection s’efface au retour du congé maternité, l’exigence de cause réelle et sérieuse demeure ; de sorte qu’il est peu probable qu’une avocate salariée qui vient de revenir de son congé maternité puisse valablement se faire licencier en l’absence de tout fait nouveau.
En revanche, pour un avocat libéral, le cabinet pourra se séparer de la collaboratrice sans motif. L’incertitude est ainsi plus grande pour l’avocate collaboratrice libérale. Cette inquiétude a été évoquée à de très nombreuses reprises au cours des dernières campagnes électorales ordinales, preuve que ce type de pratique existe dans la pratique.
d. Inaptitude À l’issue d’une visite de reprise, le médecin du travail peut prononcer l’inaptitude d’un salarié à son poste. Elle peut être avec ou sans reclassement.
Par ailleurs, l’inaptitude peut être d’origine professionnelle, auquel cas elle donne droit au doublement de l’indemnité légale de licenciement et à l’indemnité de préavis (même s’il ne peut pas être exécuté).
e. Obligation de sécurité de l’employeur L’employeur a une obligation de sécurité vis-à-vis de ses salariés, ce qui se traduit par de nombreuses actions et notamment :
la mise en place d’un document unique d’évaluation des risques professionnels (DUERP) ; le fait de devoir réagir en cas de mise en danger de la santé (y compris mentale) des collaborateurs : là encore, utile en cas de surcharge de travail. Cela peut se traduire par la mise en place d’une enquête, avec (ou sans, ce n’est pas une obligation) l’association du CSE. le suivi de la charge de travail, le droit à la déconnexion, etc.
Le Conseil de l’Ordre du Barreau de Paris a récemment émis une enquête concernant les risques cardiaques et psychosociaux au sein de la profession. Cette enquête a mis en lumière le fait que la plupart des avocats en souffrent. Les actions citées ci-dessus pourraient en limiter le nombre et l’impact.
f. Accidents du travail et maladie professionnelle Certains accidents ou certaines maladies, si elles répondent à certaines conditions, peuvent être qualifiées comme étant d’origine professionnelle. Dans ce cas, un régime protecteur s’applique au salarié, en particulier :
Du côté du droit du travail, impossibilité de licenciement pour autre motif que la faute grave ou l’impossibilité de maintenir le contrat ; Du côté du droit de la sécurité sociale, les conditions d’indemnisation sont plus favorables, et peuvent éventuellement donner lieu à une action en faute inexcusable qui permet d’obtenir davantage d’indemnisation (majoration de la rente, réparation de différents préjudices).
La législation sur les accidents du travail et la maladie professionnelle est financée par des cotisations basées sur la « tarification AT/MP », qui représente un certain coût pour l’employeur.
La représentation du personnel
L’avocat collaborateur salarié pourra bénéficier de représentation collective si son cabinet dépasse certains seuils. En particulier, le CSE est obligatoire à compter de 11 salariés.
Le CSE a davantage de prérogatives une fois le seuil de 50 salariés franchi, et notamment être consulté sur un certain nombre d’informations et notamment orientations stratégiques de l’entreprise, politique sociale, économique et environnementale, la situation économique et financière de l’entreprise, tout projet qui modifie la structure juridique ou économique de l’entreprise, santé / sécurité, etc.
Libertés fondamentales
Le salarié a droit au respect de ses libertés fondamentales par l’employeur, et notamment la liberté d’expression et le principe d’égalité.
a. Liberté d’expression Le salarié a droit à la protection de sa liberté d’expression (encore davantage renforcée s’il est représentant du personnel).
Le licenciement en violation d’une liberté fondamentale entraîne la nullité du licenciement, qui se traduit par :
soit la demande de se faire réintégrer après le licenciement, avec le paiement de tous les salaires entre le jour du licenciement et le jour de la réintégration ; soit obtenir une indemnité égale au minimum à six mois de salaire, et dont le quantum sera apprécié par le tribunal.
b. Principe d’égalité La discrimination à raison du sexe, de l’âge, des croyances, etc. est interdite, avec le risque de nullité de licenciement exposé ci-avant. Néanmoins, la différence est tenue puisqu’un avocat collaborateur libéral peut également lancer une action devant le Conseil de l’Ordre à ce titre.
Néanmoins, le droit du travail permet davantage de favoriser la protection du principe d’égalité.
À titre d’exemple, l’index égalité professionnelle est une obligation incombant à l’employeur qui le force à mettre en place des correctifs en cas de disparité entre les sexes et qui lui permettent de valoriser sa marque employeur en cas de bon score.
Ainsi, toutes les entreprises de plus de 50 salariés doivent mettre en place un index de l’égalité professionnelle.
Une note sur 100 est attribuée en additionnant les points obtenus par les 4 indicateurs suivants :
écart de rémunération entre les femmes et les hommes, sur 40 points ; écart de taux d'augmentations individuelles entre les femmes et les hommes, sur 35 points ; pourcentage de salariées ayant bénéficié d'une augmentation dans l'année suivant leur retour de congé de maternité, sur 15 points nombre de salariés du sexe sous-représenté parmi les 10 salariés ayant perçu les plus hautes rémunérations, sur 10 points.
L’index est soumis à la consultation du CSE.
En fonction du score obtenu, certaines sanctions peuvent être appliquées, dont la publication sur le site de l’entreprise.
Les obligations administratives incombant à l’employeur
L’avocat collaborateur salarié n’a pas besoin de tenir une comptabilité personnelle. L’employeur se charge de la gestion administrative de sa collaboration, que ce soit au niveau de la fiscalité (prélèvement à la source, TVA), des cotisations sociales, de la gestion de la mutuelle et de la prévoyance, etc.
À l’inverse, l’avocat collaborateur libéral doit tenir sa comptabilité, y compris la TVA, gérer son affiliation et ses versements aux organismes sociaux, etc.
La prise en charge de certains frais (tickets restaurant, frais de transport)
Un salarié a droit à la prise en charge d’une partie de ses frais de repas, soit à travers des tickets restaurants, soit à travers une cantine.
L’employeur doit aussi rembourser certains frais de transport, via les indemnités kilométriques ou encore la prise en charge au moins 50 % des frais de transport.
Responsabilité civile professionnelle
Les avocats salariés ne voient leur responsabilité engagée qu’en cas de faute lourde.
À l’inverse, la Cour de cassation a pu lever l’immunité bénéficiant habituellement aux préposés vis-à-vis du commettant s’agissant des avocats collaborateurs libéraux (Cass. civ. 1, 17 mars 2011, n° 10-30.283).
La Cour d’appel de Paris semble néanmoins avoir adopté une position moins sévère : (CA Paris, 3 décembre 2024, 24/06770) : « Ces articles [régissant le code de déontologie des avocats] ne fondent pas une responsabilité personnelle de l'avocat collaborateur qui n'a aucun lien contractuel avec le client du cabinet d'avocat qui a seul reçu un mandat de sa part et ne sont pas de nature à exclure l'avocat collaborateur de l'immunité reconnue aux préposés vis-à-vis de leurs commettants telle que prévue au cinquième alinéa de l'article 1984 devenu 1242 du Code civil ».
Quels sont les risques liés à un faux statut de collaborateur libéral ? L’entreprise qui a recours à un statut non salarié alors que les conditions du contrat de travail sont remplies s’exposent au risque de contentieux individuel, mais également à un risque lié à l’inspection du travail et à un risque Urssaf.
Risque de contentieux individuel Le contrat de travail étant d’ordre public, il n’est pas possible d’utiliser un autre type de contrat si les critères du contrat de travail sont remplis. À défaut, le collaborateur peut demander la requalification de son contrat de collaboration en contrat de travail devant le Conseil de l’Ordre.
Quels critères ont pu être retenus par la jurisprudence pour requalifier le contrat de collaboration en contrat de travail ou au contraire, conserver la qualification de collaboration libérale ? La réponse doit être évaluée in concreto , au regard de la situation de chaque avocat.
À titre d’exemple, l’analyse de la jurisprudence a pu retenir les critères suivants pour requalifier la collaboration libérale en contrat de travail :
le peu de dossiers personnels en plusieurs années (trois en cinq ans), dans un cabinet qui dissuadait les collaborateurs de développer une clientèle personnelle, la plupart des rendez-vous et appels téléphoniques, nécessaires au traitement de ces rares dossiers personnels, se passaient hors du cabinet et après vingt heures ou pendant le week-end (Cass. civ., 1ʳᵉ, 14 mai 2009, n°08-12.966) ;
l'impossibilité de développer une clientèle personnelle eu égard au nombre d’heures de travail et l’intensité du travail exigé (Cass. soc., 29 mars 2017, n° 15-29.028)
À l’inverse, ont pu être retenus comme critères permettant de valider le statut libéral :
une grande liberté pour réaliser son travail (Cass. soc., 18 octobre 2006, n° 05-42.156), une large autonomie dans la gestion des dossiers et du cabinet (Cass. civ. 1ʳᵉ, 25 mai 2023, n° 21-25.333 ; CA Lyon, 16 décembre 2021, n° 20/04690) ;
l’absence de développement de clientèle personnelle résultant d’un choix et non d’un réel empêchement lié à un volume de travail excessif (Cass. civ. 1ʳᵉ, 25 mai 2023, n° 21-25.333 ; CA Paris, 13 octobre 2021, n° 18/06074) ;
le seuil de 900 heures facturables, “qui apparaît abordable ” (CA Paris, 10 mars 2021, n°18/07177) ou encore celui de 1200 heures facturables, “qui n’a rien d'exorbitant ” (CA Paris, 13 octobre 2021, n° 18/06074) ; une clientèle personnelle à hauteur de 16 % de son activité globale (Cass. civ. 1ʳᵉ, 19 juin 2019, n°18-10-015) ou 20 % de ses revenus (Cass. civ. 1ʳᵉ, 5 juillet 2017, n°16-22.183).
En cas de requalification en contrat de travail, la rupture sera analysée en un licenciement sans cause réelle et sérieuse, avec des conséquences financières qui peuvent être assez lourdes et notamment les suivantes :
Indemnité de licenciement : le contrat de collaboration libérale ne donnant pas lieu à indemnité de licenciement, il y a lieu de la percevoir si le contrat était en réalité contrat de travail et qu’il y a eu rupture du contrat de collaboration ;
Indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse , fixée par l’article L. 1235-3 du code du travail, qui dépend de l’ancienneté ;
Demandes liées au temps de travail : le contrat de collaboration libérale ne prévoyant aucune clause relative au temps de travail (et donc aucun forfait jours), le collaborateur est présumé travailler 35 heures par semaine. Ce point est important car dans n’importe quel autre contentieux prud’homal « classique », il y a souvent un problème de preuve puisqu’il faut prouver ses heures supplémentaires, ce qui peut s’avérer assez ardu. Or, pour les collaborateurs avocats, la preuve est plus simple à rapporter car la plupart des avocats collaborateurs remplissent des time sheets.
Indemnité liée au travail dissimulé , égale à un minimum de 6 mois de salaire. La plupart des juridictions ont une certaine réticence à accorder cette indemnité puisqu’il faut notamment prouver le caractère intentionnel de la dissimulation, ce qui n’est pas toujours facile à démontrer. Néanmoins, à notre connaissance, certains Conseils de prud’hommes ont déjà pu l’accorder. Peut-être que la particularité de la profession qui, en tant qu’avocat, a parfaitement connaissance de ce qu’elle élude, pourrait jouer en sa défaveur. Risque pénal et risque lié à l’inspection du travail
L’inspection du travail est compétente pour connaître du délit du travail dissimulé ou du délit de marchandage. Elle peut notamment dresser un procès-verbal pour travail illégal.
La dissimulation d'un emploi découle de :
l'absence de déclaration préalable à l'embauche ; l'absence de bulletin de paie ou la mention sur le bulletin de paie d'un nombre d'heures de travail inférieur à celui réellement effectué (sauf si cette mention résulte de l'application d'une convention ou d'un accord d'annualisation du temps de travail) ; l'absence de déclarations relatives aux salaires ou aux cotisations sociales assises sur ceux-ci. Cette infraction peut résulter de l'utilisation de faux statuts (faux stagiaire, faux bénévoles, faux travailleur indépendant, etc.).
La dissimulation d'emploi salarié par le recours à de faux travailleurs indépendants peut être établie dans les conditions précisées par l'article L. 8221-6 du code du travail : « II.- L'existence d'un contrat de travail peut toutefois être établie lorsque les personnes mentionnées au I fournissent directement ou par une personne interposée des prestations à un donneur d'ordre dans des conditions qui les placent dans un lien de subordination juridique permanente à l'égard de celui-ci.
Dans ce cas, la dissimulation d'emploi salarié est établie si le donneur d'ordre s'est soustrait intentionnellement par ce moyen à l'accomplissement des obligations incombant à l'employeur mentionnées à l'article L. 8221-5 . »
Peut être également constitué le délit de marchandage. En effet, l’infraction de marchandage est constituée lorsque la fourniture de main d’œuvre, à but lucratif, d’une personne à une autre, d’une entreprise à une autre, a pour effet de causer un préjudice à des salariés, en matière de niveau de rémunération, de garanties sociales en les privant de l’application des dispositions légales et/ou conventionnelles dont ils pourraient normalement bénéficier.
En cas d’infractions de travail dissimulé, de marchandage ou de prêt illicite de main d’œuvre, le tribunal correctionnel peut prononcer à l’encontre des personnes morales des peines d’amende, dont le montant maximum peut être porté au quintuple de celui prévu à l’encontre des personnes physiques pour chacune des infractions considérées soit respectivement, par salarié :
travail dissimulé : 225 000 € ; marchandage : 150 000 €. L’inspection du travail est compétente pour connaître du délit du travail dissimulé ou marchandage. Elle peut notamment dresser un procès-verbal pour travail illégal et prononcer certaines sanctions administratives.
Risque Urssaf L’Urssaf peut demander le recouvrement de cotisations non payées pour cause de travail dissimulé.
C’est probablement le risque qui serait le plus important pour les cabinets. En effet, le redressement peut être d’un montant conséquent, car l’Urssaf redresse, potentiellement sur l’ensemble des collaborateurs concernés :
les 44 % de cotisations patronales ; + les 22 % de cotisations salariales ; + la majoration de 25 %. Étant précisé que la prescription est de cinq ans.
À notre connaissance, peu de cabinets se sont fait redresser sur les collaborateurs libéraux. Mais il a pu avoir des redressements faits sur les stagiaires, selon la même logique de l’éludation du contrat de travail.
Peut-être qu’avec le déficit actuel, l’Urssaf pourrait y regarder de plus près la situation des avocats collaborateurs. L’Urssaf Ile-de-France met particulièrement en avant son efficacité sur son Linkedin : « 18 centimes d'euros de coût de gestion pour 100 € encaissés ».
Affaire à suivre…